Partie 1/2 | Occupons-nous de nos jardins.

Comment j’ai vécu mon confinement. Comment j’ai jardiné sans jardin.

Mais regarde, qu’est-ce que le voisin fout tout nu dans le sien ? 

Un utilisateur Facebook.

Après deux mois de confinement, au moment où l’Europe réouvre petit à petit les accès aux lieux publics, je me suis posée la question qui me taraude et que j’ai vu beaucoup circuler : allons-nous reprendre le monde là où on l’avait laissé ? Qu’avons-nous appris de cette crise sanitaire sans précédent ? 

Voici la première partie d’un texte où j’expose mes questionnements et mon expérience du confinement.

Jamais nos jardins n’ont été aussi entretenus, nos pelouses aussi bien tondues, nos arbustes taillés d’aussi prêt et nos fleurs en éclosion aussi dégagées des mauvaises herbes. Jamais les cerisiers italiens n’ont été aussi observés et choyés. Je m’en réjouis. 

Nous sommes devenu des jardiniers. 

S’occuper de son jardin est thérapeutique et réconfortant, on l’avait presque oublié et on avait attribué son bienfait à une activité de senior – « mais de toutes façons c’est une autre génération ». Il y a une sensation d’abandon lorsqu’on jardine, d’oubli de soi-même en tant qu’individu. Tout à coup on redevient un petit élément dans un immense écosystème qui nous dépasse et que l’on ne peut tout à fait contrôler : la nature. On se rappelle quelle est notre place et on s’y plaît : je ne suis qu’un infime élément de la nature mais si je la traite bien elle me rendra un peu le fruit de mon labeur : la beauté d’une fleur ou la saveur d’une fraise. Au fur et à mesure que l’on jardine, que l’on s’oublie pour prendre soin d’un autre — être vivant, on se détache du monde extérieur, de son quotidien, de ses problèmes pour se dire que finalement ils ne sont pas si important que ça. Et chaque jour on regarde le fruit de son travail qui prend lentement forme. 

Apprendre à s’ennuyer, apprendre la contemplation.

“Il faut cultiver notre jardin” nous disait Voltaire. S’occuper de son jardin ne s’arrête pas au labeur physique. C’est aussi cultiver son jardin intérieur, celui qui nous fait un peu plus peur : notre âme. Dans un moment où le temps s’arrête, on peut s’autoriser à rêver. Un temps pour le rêve, voilà le vrai cadeau de ce confinement. Je peux rester chez moi, fixer les roses de mon voisin par la fenêtre le regarde absent et laisser mon esprit vagabonder. C’est un souffle dans le tourbillon incessant de la vie : suis-je en train d’apprendre à ne rien faire ? Tiens comme ça fait du bien, c’est drôle. Il ne faudrait tout de même pas que j’y prenne goût, je vais devenir fainéante. 

L’humanité entière est en train d’apprendre à s’ennuyer et découvre que l’ennui est source de créativité et même de bien-être. Comme quoi nos croyances sont fortes. Pourquoi faudrait-il à tout prix fuir l’ennui ? L’ennui c’est le temps à soi. Une réflexion rien qu’à nous sur tout ce qui est nous est apparemment inutile mais complètement nécessaire. C’est une nourriture de l’esprit, comme un cadeau : superflu mais bienveillant. Nous apprenons à contempler et ça nous donne des idées.

Nous apprenons à rêver et cette rêverie nous amène à penser autrement, à forger notre opinion. Elle ouvre de nouvelles portes : la réflexivité. On rêve et on se regarde soi-même : qu’ai-je fais ? Qu’est-ce que je veux ? Ce sont les mêmes questions qu’auparavant mais elles paraissent plus douces. Est-ce que je veux ce monde qu’on me propose ? Est-ce qu’en y participant je ne le tolèrerai pas finalement ? Que puis-je faire pour le changer ? 

En se concentrant sur soi on apprend à devenir plus tolérant et plus bienveillant envers soi-même et envers les autres, comme Maurice Bénin nous l’avait dit : “Plus tu es heureux, plus tu acceptes les autres.” 

Nous nous sommes rapproché de nos familles. Les petits-enfants ont appelé leur grand-parents plus souvent, les cousins éloignés ont repris contact. Dans un climat de doutes et de peurs, de discours officiels confus et contradictoires, nous avons le réflexe de nous protéger les uns les autres, de protéger les siens. C’est un réflexe instinctif et sauvage de protéger le clan comme les gnous qui protègent les petits et les faibles d’une attaque de lionnes. 

Un vent de solidarité souffle, les cercles familiaux se resserrent pour nous rappeler ce qui vraiment important : l’amour et toujours l’amour. C’est beau. 

Accompagne ce phénomène, un autre qui y est lié : nous avons davantage restreint nos cercles sociaux. Cela va de soi, malgré l’apparition de Houseparty — application la plus téléchargée du confinement  — et l’explosion des apéros skype, la technologie reste limitée pour pour se substituer à des réels rapports sociaux. On pourrait invoquer la mise en place d’un bâton de parole et attendre que chacun finisse sa phrase avant que l’autre ne la commence mais les situations de communication spontanées en groupe n’on jamais fonctionné de la sorte. Dans une soirée d’amis, des groupuscules de discussion se forment et se déforment en permanence au fil des interactions. Soyons honnête on a trouvé l’idée chouette au départ mais après cinq minutes où cinq personnes essayaient de dire des choses en même temps, cinq “Allo, vous avez dit quoi ?” Et le même résultat, on a tous laissé tombé les Houseparty ou Zoom sur internet.

Nous avons privilégié les appels en tête à tête, ou bien avec un groupe limité. Ce qui a eu pour effet de réduire nos cercles sociaux habituels, qu’ils soient professionnels ou personnels. En sommes-nous affecté ? Probablement. Mais sans doute pas autant qu’on l’aurait cru. C’est qu’on y prendrait goût à réduire nos interactions. Serions-nous en train de privilégier la qualité sur la quantité ? Le présent sur le futur ? Nous vivons tous différemment cette expérience mais ce qui est certain c’est qu’elle nous en révèle bien plus sur nous-même que nous voulons bien l’admettre. 

Si nous nous sommes adaptés aussi vite, est-ce que cela modifierait notre rapport au changement ? Est-ce finalement si difficile de changer nos habitudes ? Pourquoi a-t-on aussi peur de la différence quand on peut devenir différent si vite ? 

Une prise de conscience règne et s’éveille doucement. Prise de conscience sur nos modes de consommation, questionnement sur notre façon de nous déplacer et de voyager, réflexion sur notre rapport aux objets, aux emballages à usage unique. Prise de conscience importante que le choix est aussi une question de classe sociale et le changement est aussi une décision économique et politique liée à nos industries. 

Le lien entre la crise sanitaire actuelle et nos choix de sociétés est difficile à rejeter et l’ironie de la situation est de plus en plus forte. 

“Comment en est-on arrivé-là ?” Nous disions nous au début de la pandémie. Ça me rappelle cet adage si présent dans nos sociétés occidentales et qu’on attribue à l’économiste Stuart Mill : “La liberté des uns s’arrêtent là où commence celle des autres.” L’ironie du sort nous rappelle que notre liberté, celle des hommes, des marchandises, des marchés s’arrête lorsque nous dés-équilibrons la nature. Irritant pour une société libérale mais réel. Comme le rappel agaçant mais néanmoins vrai d’une mère à sa fille qui a fait une bêtise et casser son jouet “Je te l’avais dit.”

Parce que c’est pas faute de nous l’avoir dit.

Maintenant à nous de ré-inventer, de changer, de ne plus accepter, de “se bouger”, de refuser, de ne plus faire, de lever la voix, de “faire des efforts”. On s’éveille et on se fait des promesses : je n’achèterai plus de viande, je n’irai plus au supermarché, je me déplacerai moins en voiture, je prendrai moins l’avion pour aller en vacances. Je n’achèterai plus sur Amazon. J’achèterai local et national pour soutenir l’économie de mon pays. Je soutiendrai les initiatives solidaires et écologiques. 

Comme si nous nous réveillons d’un coup d’un seul, décidé à ne plus être passif et à passer à l’action mais avons-nous déjà été passif et inactif ? L’apprentissage de la contemplation nous a-t-il amener à vouloir passer à l’action ? 

Face à cette crise les gouvernements ont été secoués et mis à l’épreuve : comment parle-t-on du danger sans créer la peur et soulever la panique ? À l’école de la clarté et de la transparence, certains ont été bien meilleur élève que d’autres mais tous ont fait un choix stricte : restreindre les libertés individuelles pour endiguer la situation et par la force des choses restreindre les droits politiques et démocratiques. Le temps que la pandémie passe, espérons-le. 

De l’autre côté des moyens astronomiques de soutien économique ont été débloqués pour pouvoir assister les foyers touchés par la récession économique. Ça pose la question d’un revenu universel ce genre de chose n’est-ce pas ? On se refuse à l’idée, on la combat, soutient que ce n’est pas viable mais l’Amérique du Nord et l’Europe débloque des millions de milliards en quelques jours. On tente de colmater les failles d’un système mais il paraît hors de question de le remettre en cause pour autant. 

On ne saurait presque plus où donner de la tête. 

Mais bon, puisque maintenant on a le droit de s’ennuyer…